« Mettons le focus sur les indicateurs de résultats et non sur les indicateurs de processus »

Même s’ils s’avèrent importants dans la justification des fonds alloués dans le cadre de la répondre au Vih, les indicateurs de processus ne doivent être priorisés par rapport aux indicateurs de résultats. C’est la conviction du Directeur Général de Coalition Plus Vincent Pelletier. En visite de travail à l’Alliance Nationale des Communautés pour la santé, Mr Pelletier Même n’est pas sûr qu’une bonne utilisation de l’argent du Sida en termes de processus puisse amener de meilleurs résultats possibles en matière  d’impact sur l’épidémie.

Le Directeur de Coalition Plus reste convaincu qu’on peut arrêter l’épidémie du Sida mais l’argent investi est mal utilisé.

Pouvez-vous revenir sur les objectifs de votre mission entrepris au Sénégal ?

Suite à la demande d’adhésion de l’Alliance Nationale contre le Sida  devenue Alliance Nationale des Communautés pour la Santé à être membre de  la Coalition plus, l’administration de Coalition plus a accepté cette demande et lui conférant le statut de partenaire. Ce statut de partenaire est un préalable qui permet aux deux organisations de mieux se connaitre, de  mieux se comprendre pour  qu’à la fin l’ANCS comprenne d’une part ce en quoi elle s’engage en adhérant dans une organisation comme Coalition. D’autre part cette visite permet à coalition de mieux comprendre les interventions et les missions de l’ANCS pour savoir si elle remplit les conditions d’appartenance.

Lors de votre séance de travail avec l’équipe de l’ANCS, vous avez dit qu’on peut arrêter l’épidémie du Sida mais l’argent est mal utilisé ?

Au Sénégal, nous avons une épidémie de type concentrée avec une assez faible prévalence au niveau de la population générale (0,7%). C’est un taux assez faible par rapport aux pays de la Sous région. Mais je trouve que nous n’avons pas une étude suffisamment précise de la réalité de cette épidémie, qui est réellement dans une dynamique de transmission. On ne sait pas de manière précise quelle groupe de populations n’est pas suffisamment pris en charge ou pris en compte dans la réponse.  Pourtant beaucoup d’argent est mis sur la table dans la lutte contre le Sida mais peut-être qu’il n’y a pas une adéquation parfaite entre la réalité de la dynamique épidémiologique et la réalité des moyens qui sont mis en place pour la combattre la maladie.

Lors des échanges, vous avez demandé à l’ANCS de se focaliser sur les indicateurs d’impacts et non sur les indicateurs de processus. Dans quel but ?

La majorité des fonds et surtout ceux du Fonds Mondial est basée sur la bonne utilisation de l’argent. Ceci est indispensable d’être absolument transparent sur l’utilisation de l’argent et de rendre compte de la gestion des fonds. Néanmoins les indicateurs de processus ne doivent pas cacher l’impact que cet argent a sur les bénéficiaires. Même si on a une bonne utilisation de l’argent en termes de processus, je ne suis pas sûr que cet argent amène de meilleurs résultats possibles en matière  d’impact sur l’épidémie. Donc je trouve qu’en plus des indicateurs de processus, on devrait mettre en place plus d’indicateurs de résultats que ce soit aussi bien pour la charge virale communautaire ou bien  la réalité des impacts de transmission dans certains groupes de  populations.

Mais une fois que les indicateurs d’impact mis en exergue quelles sont les actions concrètes à mener sur la dynamique épidémique ?

L’épidémie est très concentrée et les transmissions interviennent au niveau de petits groupes de populations. Je trouve que c’est intéressant de voir que dans les opérations de dépistage communautaire qui sont faites, certains groupes montrent une prévalence très élevée. Par exemple si on réunit 40 personnes pour un dépistage et qu’on trouve 10 ou 15 personnes séropositives, cela montre évidemment qu’on est face à un groupe de transmission. Ce qui veut dire qu’il y a des chances que des gens se connaissent dans ce groupe, se rencontrent et ont des rapports sexuels. C’est pourquoi il serait plus intéressant d’agir sur ces micros groupes plutôt que de faire une action de masse ou globale. Il ne sert à rien de dire que nous allons faire de la prévention dans un groupe de population d’une dizaine de milliers de personnes. Il vaut mieux se concentrer, se focaliser sur les micros groupes parce que l’épidémie se transmet au sein de ces micros groupes.

Si vous aviez à jeter un regard critique dans l’architecture de la réponse au niveau mondial, quelles sont les indications que vous alliez donner ?

D’abord il faudra continuer la prévention comportementale qu’on mène depuis 30 ans. C’est évident qu’il faut continuer à diffuser l’information sur le Sida, montrer que c’est une épidémie extrêmement grave et qui touche les populations dans tous les pays. Ensuite, il faudra utiliser les moyens qui sont à notre disposition et qui vont nous permettre d’arrêter l’épidémie.

Donc, en plus de l’approche comportementale, il faut une approche biomédicale et plus de dépistage ciblé au niveau des populations ou l’épidémie se transmet le plus. Il faut également mettre en place le « Test and Treat » C’est-à-dire que dès qu’on dépiste un cas séropositif on le met sous traitement immédiatement ; peut-être  même sur le lieu du dépistage, il faut réfléchir à l’organisation des soins pour faire en sorte que si on fait du dépistage hors des murs, dans les lieux de vie, qu’il y ait la possibilité de mettre immédiatement sous traitement  les personnes. Parce qu’on a démontré que cela permet d’éviter ou de limiter les perdus de vues.

En plus du « test and treat »  il faut absolument dans certaines populations où le virus est extrêmement dynamique mettre en place la Prep. La Prep c’est la mise sous traitement de personnes séronégatives mais à forte exposition au virus. C’est le cas des MSM, des PS ou aux couples séro différents. Et dans ces cas, seule la Prep permet d’endiguer l’épidémie à un niveau suffisant pour diminuer l’incidence de la situation épidémiologique. Parce que parce que le « Test and Treat » ne permettra pas d’éviter les transmissions quand on est dans la phase de primo infections. Ce que les gens ne savent pas encore quand ils sont séropositifs et ils continuent de transmettre le virus. C’est pourquoi il faut la Prep.

Avez-vous une réflexion particulière à partager ?

Je crois que la fin de l’épidémie est possible. C’est important de s’en convaincre et particulièrement au Sénégal où  nous avons une prévalence qui est très faible et une épidémie de type très concentrée. Donc si on se donne les moyens politiques et si on accepte de regarder la réalité des outils qu’on doit mettre en œuvre, on peut très rapidement mettre fin à l’épidémie au Sénégal.

Propos recueillis par :

Issa NIANG et Barra Lamine FALL